Interview
Décarbonation
Combiner des objectifs climatiques ambitieux avec des politiques pragmatiques
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Carole Labbé
Conseillère économique à la Représentation de la Commission européenne à Paris

Carole Labbé, conseillère économique à la Représentation de la Commission européenne à Paris, s’est entretenue avec The Mobility Times sur la manière dont la décarbonation des transports est au cœur de l’agenda climatique de l’UE.
The Mobility Times : Du Green Deal au Clean Industrial Deal, quelle est la clé du succès compétitif de l’UE ?
Carole Labbé : Le Clean Industrial Deal de l’UE s’appuie sur les ambitions climatiques du Green Deal, visant la neutralité carbone d’ici 2050 ; non seulement pour garantir la durabilité, mais aussi pour renforcer la compétitivité industrielle. La clé du succès réside dans une stratégie holistique qui intègre l’innovation, la création de marchés, le financement, la circularité, la coopération internationale et le développement des compétences.
Une énergie propre et abordable est essentielle pour réduire les coûts et accélérer l’électrification, soutenue par des mesures visant à accroître la capacité des énergies renouvelables et à approfondir l’intégration du marché de l’énergie. Un élément central de cette stratégie est la création de marchés pilotes pour les produits durables. Cela implique de tirer parti des marchés publics et des incitations réglementaires pour stimuler la demande de technologies et de produits verts. En privilégiant les solutions propres dans les achats publics et en introduisant des étiquettes d’intensité carbone, l’UE encourage les entreprises à innover et à augmenter leur production, tout en fournissant aux consommateurs des informations claires pour faire des choix plus écologiques.
Le Clean Industrial Deal vise à mobiliser plus de 100 milliards d’euros d’investissements publics et privés, en augmentant la puissance du Fonds pour l’innovation, en modifiant InvestEU et en simplifiant les règles en matière d’aides d’État. Cet effort sera encore renforcé par le prochain Cadre Financier Pluriannuel (CFP), qui inclut le nouveau Fonds pour la compétitivité — d’un montant d’environ 450 milliards d’euros, tel que proposé en juillet. Contrairement aux budgets précédents, le Fonds pour la compétitivité pourra fournir une aide à la production pour augmenter la fabrication de produits propres. Il introduira également des exigences “Made in EU”, accordant aux entreprises qui utilisent des technologies et des fournisseurs locaux un accès privilégié aux fonds de l’UE. Cette approche accélère non seulement la transition verte, mais renforce aussi la souveraineté industrielle de l’Europe et sa compétitivité sur la scène mondiale.
Les initiatives d’économie circulaire visent à réduire la dépendance aux matières premières critiques, tandis que les partenariats commerciaux mondiaux facilitent l’accès à de nouveaux marchés et technologies, renforçant la position de l’Europe dans l’économie mondiale des technologies propres.
Enfin, la reconversion et le perfectionnement de la main-d’œuvre garantissent que les industries disposent du capital humain qualifié nécessaire pour un avenir durable et compétitif.
En substance, l’avantage concurrentiel de l’UE découle de la combinaison d’objectifs climatiques ambitieux et de politiques pragmatiques qui stimulent l’innovation, l’investissement et le développement des compétences. Cette approche est soutenue par des outils de financement robustes tels que le Fonds pour la compétitivité et par la réalisation de l’Union des marchés de capitaux pour mieux mobiliser les importantes économies disponibles dans toute l’UE.
The Mobility Times : Quels outils de financement de l’UE sont les plus efficaces pour les transports verts ?
Carole Labbé : La décarbonation des transports est au cœur de l’agenda climatique de l’UE et soutenue par un ensemble complet d’outils de financement. Le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) joue un rôle majeur en investissant dans les infrastructures de transport transfrontalières telles que les chemins de fer, les transports urbains propres et les infrastructures de carburants alternatifs comme les bornes de recharge électrique et les stations de ravitaillement en hydrogène. Le prochain CFP prévoit de doubler le budget du MIE pour les transports à 51,5 milliards d’euros, accélérant ainsi la modernisation et l’intégration des réseaux à travers l’Europe.
Aux niveaux régional et local, les Fonds structurels et d’investissement européens, y compris le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds de cohésion, soutiennent des projets de mobilité durable adaptés. Ceux-ci vont de la modernisation des transports publics urbains à l’expansion des infrastructures cyclables et à la création de zones à faibles émissions qui améliorent la qualité de l’air et réduisent les émissions.
L’innovation est soutenue par des programmes tels que le Fonds pour l’innovation et Horizon Europe, qui financent des technologies de rupture telles que l’électrification, l’hydrogène et les systèmes de mobilité intelligents.
Le prochain Fonds européen pour la compétitivité (FEC) viendra renforcer ces efforts en contribuant au financement des carburants durables, des infrastructures de recharge, de la décarbonation des ports, du ferroviaire à grande vitesse et des actifs mobiles propres — y compris les véhicules, les navires, les avions et le matériel roulant — ainsi que de la modernisation et de la numérisation des systèmes de transport pour promouvoir une mobilité propre, multimodale et sûre.
Cependant, le financement de l’UE ne peut à lui seul couvrir tous les besoins d’investissement. Les instruments financiers européens agissent comme des catalyseurs, mobilisant des investissements publics et privés supplémentaires essentiels pour développer la mobilité durable. Par exemple, le programme InvestEU mobilise des investissements privés grâce à des garanties de l’UE et à des mécanismes de financement, permettant aux grands projets de transport vert d’attirer des capitaux critiques. Enfin, la Banque européenne d’investissement — souvent appelée la banque climatique de l’UE — joue un rôle clé dans le financement des projets de mobilité propre. Ensemble, ces ressources publiques et privées contribuent à notre agenda climatique et de transport.
The Mobility Times : Les partenariats public-privé pourraient-ils être la solution pour atteindre les objectifs climatiques de l’Europe ?
Carole Labbé : Les partenariats public-privé (PPP) sont de plus en plus reconnus comme un mécanisme essentiel pour faire progresser les objectifs climatiques de l’Europe. Répondre à l’ampleur des investissements nécessaires pour les projets climatiques, tels que les infrastructures d’énergie renouvelable, les transports verts et les bâtiments écoénergétiques, nécessite des ressources financières au-delà de ce que les budgets publics peuvent fournir. Les PPP combinent efficacement les financements publics avec les capitaux privés, débloquant ainsi des volumes d’investissement plus importants.
De plus, ces partenariats facilitent le partage des risques et combinent les forces des deux secteurs. Les entreprises privées apportent innovation, efficacité opérationnelle et agilité, tandis que les autorités publiques fournissent une orientation politique à long terme et des cadres réglementaires.
Les PPP garantissent également un engagement à long terme, les contrats s’étendant souvent sur plusieurs décennies, alignant les incitations pour une maintenance de qualité et un impact environnemental durable. La volonté du secteur privé d’optimiser les coûts et d’améliorer les services introduit une discipline de marché, conduisant à une utilisation plus efficace des ressources.
La Banque européenne d’investissement (BEI) est une source de soutien importante, car elle finance non seulement les projets PPP, mais fournit également une expertise technique pour aider les autorités locales à développer et structurer des montages PPP complexes. Par exemple, la BEI conseille la République tchèque sur ses projets de train à grande vitesse (TGV), aidant à garantir que ces infrastructures de transport à grande échelle soient conçues conformément aux meilleures pratiques, aux normes climatiques et à la viabilité financière.
Néanmoins, les PPP réussis nécessitent une conception rigoureuse. Des normes environnementales claires et des résultats mesurables sont essentiels, tandis qu’un partage des risques transparent et des cadres réglementaires stables sont nécessaires pour attirer et maintenir les investissements privés sans surcharger les finances publiques.
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