Tribune de Thierry Mallet : pour une stratégie européenne de la mobilité à la hauteur des enjeux de demain

14.12.2020
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Le 9 décembre, la Commission européenne a présenté sa Stratégie Européenne pour une Mobilité Durable et Intelligente devant guider ses actions des quatre prochaines années.

Si la stratégie présentée par la Commission européenne reconnaît la place capitale à accorder à cette mobilité de tous les jours, les ambitions annoncées doivent être sensiblement renforcées et concrétisées dans les législations futures, et ce notamment au sujet des transports publics.

Principal émetteur de gaz à effet de serre en Europe (30 % des émissions), le secteur des transports doit être radicalement transformé si nous voulons atteindre les objectifs du Pacte Vert européen – une réduction de 90 % des GES dus aux transports d’ici à 2050. Ils ne seront néanmoins pas assurés sans une réorientation décisive des financements européens en direction de la mobilité du quotidien et du report modal vers les transports publics.

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Le secteur des transports publics nécessite un engagement européen fort

Les transports publics des pays membres de l’Union européenne sont frappés par cette crise sans précédent. Rappelons qu’en mars dernier, nous avons perdu en l’espace de quelques semaines près de 90 % de nos voyageurs sur le continent, alors que les opérateurs ont maintenu entre 70 à 100 % de leur offre habituelle, tout en assumant des surcoûts sanitaires supplémentaires, accompagnés d’une baisse des recettes voyageurs et du versement mobilité. Cet effet ciseau met aujourd’hui en péril le rôle essentiel des transports publics dans la transition écologique.

Les transports publics ont pourtant un rôle décisif à jouer en la matière en permettant de réduire notamment les émissions des transports, la congestion, les accidents en ville tout en étant sensiblement peu chers et inclusifs. Et ce d’autant plus que les investissements dans les transports publics ont un effet multiplicateur dans l’économie locale dépassant cinq fois l’investissement initial !

La reconnaissance de ces externalités positives doit faire du transport public la colonne vertébrale d’une mobilité durable et intelligente. Si la Commission européenne a mentionné, via sa Stratégie Européenne pour une Mobilité Durable et Intelligente, vouloir augmenter le nombre de passagers dans les transports publics et accroître l’offre de transports en commun dans les zones rurales et périphériques, les actions concrètes futures qu’elle entreprendra doivent être à la hauteur des enjeux.

Le Pacte Vert européen dépend de mesures réellement ambitieuses sur la mobilité du quotidien et le report modal

Si nous voulons développer une offre de transport public suffisamment étendue et attractive, l’enveloppe allouée à la mobilité urbaine dans le Fonds Européen de Développement Régional, de 16,3 milliards d’euros sur la période 2014 – 2020, doit être fortement accrue. Il est également capital qu’au moins 20 % des subventions du MIE soient dévolus aux mobilités du quotidien. Ces enjeux doivent trouver une réponse dans les législations futures, et notamment lors de la révision du Paquet Mobilité Urbaine en 2021, dédié au soutien de la mobilité urbaine par l’Union, afin d’ancrer concrètement les mesures nécessaires au développement d’une mobilité durable et intelligente.

Au-delà de ces financements, le report modal ne sera jamais atteint sans des outils de rationalisation de l’usage de la voiture individuelle, notamment la tarification de la pollution ou la taxation des modes émetteurs de GES. Le principe du pollueur-payeur, comme abordé dans la stratégie de la Commission, devra lui aussi faire partie de l’arsenal de l’Union pour avoir un impact suffisamment important. En effet, si le déploiement d’alternatives à la voiture est nécessaire pour limiter son usage, l’histoire nous montre que sans contraintes majeures sur la voiture, même électrique, sa part modale ne baissera pas de manière suffisante pour atteindre les objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

L’Europe doit être également le fer de lance de la stratégie de transition énergétique des transports publics, avec des mécanismes de soutien financier à destination des collectivités et des opérateurs pour investir dans les bus et cars zéro émission (électriques et  hydrogène) mais aussi faibles émissions avec l’utilisation du biogaz ou des biofuels. La neutralité technologique pour le transport public doit être réaffirmée afin de ne pas entraver le développement de solutions durables essentielles au report modal.

Le ferroviaire a aussi un rôle clé à jouer dans la décarbonation du transport. L’objectif de la Commission à ce sujet est clair : en 2030, elle souhaite faire doubler le trafic ferroviaire à grande vitesse sur tout le territoire européen. Or c’est bien dans le ferroviaire régional et suburbain que se situe l’outil majeur pour accélérer le report modal. 90% des passagers du ferroviaire sont les passagers de ces services essentiels aux liaisons périphéries – centres urbains. Cela représente 10 fois plus de passagers que le transport ferroviaire longue distance en Europe. Il est temps de concentrer l’effort européen sur ces liaisons du quotidien. Pour cela, l’Union européenne doit garantir une concurrence régulée équitable ainsi qu’une réorientation claire des financements vers l’investissement sur les réseaux (et notamment les lignes de desserte fine du territoire) aux bénéfices des usagers et de la qualité des services….

Enfin, l’Europe doit proposer une véritable politique d’innovation pour stimuler le déploiement de la mobilité autonome partagée et de solutions digitales multimodales. La commissaire européenne aux transports Adina-Ioana Valean l’a elle-même affirmé :  “Les technologies numériques sont susceptibles de révolutionner nos modes de déplacement, rendant notre mobilité plus intelligente, plus efficiente et aussi plus écologique”. C’est en leur permettant de déployer son plein potentiel dans les transports publics que la digitalisation se fera au service du développement durable et inclusif de nos territoires.

Cette stratégie européenne est un premier pas pour une mobilité durable. Néanmoins, pour répondre aux  objectifs du Pacte Vert Européen,  il est essentiel d’opérer une réorientation massive de l’action européenne vers les transports publics, via des financements dédiés, et une politique d’innovation adaptée Les années qui viennent verront de nombreuses propositions et révisions législatives de la Commission Européenne dans le domaine des transports. Il s’agit là d’une opportunité essentielle à saisir pour faire de la mobilité du quotidien et le report modal les éléments clés de la décarbonation de notre continent.

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