Le report modal en Île-de-France : enjeux et avancées

14.11.2022
Jeune femme avec un manteau rouge sur un vélo rouge
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Par Jean Coldefy Directeur du programme Mobilités et Transition ATEC ITS France, conseiller du Président de Transdev

Les émissions de CO2 qui s’accumulent dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle sont la cause de l’élévation de température de la planète, le CO2 mettant 80 ans à se dégrader. Les conséquences sont gravissimes et le phénomène s’accélère chaque année étant plus chaude que la précédente. Pour contenir le réchauffement climatique à +1.5° C par rapport à 1900, là où nous en sommes rendus aujourd’hui, l’Union Européenne (UE) et la France se sont engagées à réduire de 55% d’ici 10 ans nos émissions. Les mobilités sont en France le 1er poste d’émissions de CO2, et notamment la voiture qui représente 16% des émissions totales du pays (20 fois plus que les vols intérieurs). La difficulté c’est que les émissions de la voiture stagnent depuis 20 ans. Il s’agit donc d’accélérer fortement.

Pour baisser ces émissions, il y a trois moyens possibles : réduire les émissions des véhicules, diminuer les distances parcourues, basculer de la voiture individuelle vers les transports partagés – ce que l’on appelle le report modal.

Calcul des émissions
  • Diminuer les émissions unitaires
    C’est l’enjeu de la voiture électrique. En France, elle a le potentiel de diviser par 3 les émissions de CO2 de la voiture thermique, compte tenu du mix énergétique largement décarboné. La difficulté réside dans la vitesse de son déploiement d’une part et dans son coût d’autre part, ce dernier ne devant être équivalent à celui d’une voiture thermique qu’en 2025, mais le contexte géopolitique perturbe cette trajectoire. Or, une voiture thermique achetée aujourd’hui sera encore là en 2040. Il est estimé dans les conditions actuelles de renouvellement de la flotte, très faibles, que d’ici 2030, dans le meilleur des cas, la voiture électrique ne contribuera qu’à hauteur de 20% à la réduction des émissions de CO2 de la mobilité. Elle n’est par ailleurs pas zéro carbone.
  • Diminuer les distances parcourues
    Depuis 2000, les distances parcourues en France sont stables pour les déplacements du quotidien1. Il y a deux moyens principaux pour les réduire : l’organisation de l’espace et l’organisation des activités.
    Organiser l’espace suppose de mettre en œuvre un urbanisme de proximité par la distance pour les déplacements résidentiels (emmener les enfants à l’école, faire ses courses, aller chez le docteur…) et par la vitesse via des transports en commun efficaces pour les déplacements domicile-travail qui sont des déplacements longs. Cela nécessite de densifier en seconde couronnes pour la viabilité de commerces de proximité, et de n’urbaniser qu’à 1 ou 2 km des pôles de transports en commun, à l’instar de ce qu’ont fait Copenhague et Stockholm. C’est autour des pôles de transports en commun qu’il faut organiser habitats et emplois. L’impact de ces adaptations de la politique d’urbanisme sur la réduction des émissions de GES sera de long terme.
    Organiser différemment les activités, c’est par exemple le développement du télétravail. Des études montrent cependant que les télétravailleurs – qui ne représentent qu’une fraction des actifs – ne sont pas forcément ceux qui se déplacent le moins. Il faudra analyser dans la durée comment le développement du télétravail impactera la fréquence et la distance de nos déplacements.
  • Augmenter le report modal
    Si la voiture électrique n’assure que 20% de réduction des émissions d’ici 10 ans et qu’il y a peu de chance que les distances parcourues baissent significativement, il faudra pour tenir les objectifs de décarbonation que le report modal assure un transfert de la voiture vers des transports partagées de 44% (1-0.45/0 .8). C’est considérable, la voiture représentant depuis 20 ans 80% des kilomètres parcourus en France.

Source : Enquêtes nationales transports déplacements, 2008 et 2018.

Calcul des émissions

C’est considérable mais ce n’est pas hors de portée. L’Île-de-France dispose d’un système de transports en commun parmi les plus denses et importants au monde. La politique menée avec constance par Île-de-France Mobilités a permis de faire baisser fortement l’usage de la voiture. Ceci est nécessaire non pas parce que la voiture serait à bannir par principe mais parce qu’une ville a besoin de transports publics pour fonctionner sauf à être thrombosée. La congestion est le pendant de l’effet économique d’agglomération. L’espace public est une ressource rare, la voiture en consomme beaucoup et c’est pour cela que l’on déploie et finance des transports publics en ville et non dans les campagnes. Le graphique qui suit montre l’évolution dans Paris, en 1ère couronne et en 2nde couronne du nombre de déplacements en voiture et en transport en commun entre 2001 et 2018 (données EDGT).

Le report modal en Île-de-France : enjeux et avancées

Sur Paris, le trafic routier a été quasiment divisé par 3 en 20 ans, entre la 1ère couronne et Paris par deux, au sein de la première couronne il a baissé d’un tiers grâce au déploiement d’une offre bus massive. Globalement ce résultat est l’impact direct des transports publics ferrés comme routiers. Le report modal de la voiture vers les transports en commun fonctionne là où le transport public est efficace. Sur les trajets domicile-travail, ils représentent 50% des kilomètres des français. Les travaux menés par le Laboratoire Aménagement et Economie des Transports avec Transdev sur 52 agglomérations montrent que la part modale de la voiture est exactement l’inverse de celle des transports en commun. Ce sont des biens dits substituables par les économistes, à l’image du café et du thé : quand l’un manque, la consommation du second augmente 

Corrélation de la part modale voiture avec celle des transports en commun pour les trajets domicile-travail
Corrélation de la part modale voiture avec celle des transports en commun pour les trajets domicile-travail. P. Leviaux, P.-Y. Peguy, LAET, 2021, étude Transdev sur le report modal.

L’analyse des parts modales en Île-de-France permet de mesurer l’importance des transports publics dans les liens entre Paris et les couronnes : plus de 75% des déplacements !

Part modale des transports en commun

Serait-ce à dire que les marges de progrès sont faibles ? Les données INSEE sur les populations, croisée avec les enquêtes sur les kilomètres annuels des ménages par localisations (source Kantar / Transdev) permettent de visualiser les poches de report modal :

LE REPORT MODAL

On a quasiment un doublement des kilomètres parcourus par ménage quand on passe d’une couronne à l’autre. Au vu de ces données on réalise que le sujet n’est plus Paris mais bien dans les couronnes et entre elles : le GPE est à l’évidence une nécessité. En considérant ces données avec les parts modales de la voiture on peut en déduire le potentiel de report modal :

  • Le GPE devrait influer fortement sur la part modale des transports publics en 1ère couronne. Passer à 70% de part modale des transports publics permettrait de reporter 1,6 millions de déplacements en voiture en 1ère couronne.
  • En se fixant une part modale de 80% des transports publics sur les déplacements radiaux, c’est 1,2 millions de déplacements en voiture que l’on pourrait reporter entre la 2nde et la 1ère couronne.
  • Au sein de la 2nde couronne, compte tenu de la faible densité, hormis quelques territoires, c’est très probablement par la voiture électrique que l’on devrait décarboner la mobilité.

C’est une baisse de près de 20% en nombre de déplacements en voiture qui est attendue mais bien plus en termes de kilomètres, les distances étant le paramètre à regarder pour les impacts en termes d’émissions de CO2. Nous ne disposons pas des données kilométriques 2018 mais dans les zones considérées ce sont des déplacements relativement longs, et l’impact kilométrique sera donc fort, et viser les 40% de baisse n’apparait pas hors de portée.

L’impact potentiel du GPE compte tenu du nombre de ménage et des kilomètres réalisés en voiture devrait être fort si le rabattement est correctement organisé, au sein de la 1ère couronne mais aussi depuis la 2nde couronne. Au sein de la première couronne c’est une intermodalité vélo / transport en commun qu’il faudra rechercher. Le vélo seul n’aura que peu d’impact sur l’usage de la voiture : 90% des kilomètres réalisés en France sont le fait de trajets de plus de 5 km (soit 10 km par jour si l’on prend un seul aller-retour). Le vélo permettra de désaturer les transports en commun sur les distances courtes et améliorera donc son attractivité. C’est en intermodalité avec les transports publics qu’il faut penser le vélo avec des pistes cyclables et des parcs relais vélo massifs dans les gares du GPE et du RER.

Pour les liens entre la 2nde et 1ère couronne le report modal s’opérera par un package mobilité comprenant :

  • Des parcs-relais voitures et vélos conjugués à des services de cars express hautes fréquences (toutes les 5 minutes en heures de pointe par exemple) sur voies réservées assurant le lien avec le RER et le GPE. Ces parcs-relais doivent accueillir des vélos et des voitures en nombre suffisant, l’offre actuelle étant nettement trop faible (30 000 places de parcs-relais en Île-de-France pour 3 millions de véhicules en circulation chaque jour).
  • Des outils numériques comme la mobilité intégrée (Mobility as a Service – MaaS) permettant de limiter le coût temporel pour l’usager de l’intermodalité en permettant de passer d’un mode à l’autre de manière simple ; et la priorité aux carrefours à feux des transports en commun permettant d’assurer les temps de parcours en zones urbaines et diminuer les couts d’exploitation.
Construire des alternatives à la voiture solo - Relier périphéries et agglomérations

L’évaluation des cars express2 menée par le conseil scientifique du Ministère des Transports démontre que là où ils sont déployés, en Île-de-France, sur l’aire urbaine de Grenoble, entre Aix et Marseille, ils sont pris d’assaut par les usagers qui font des gains jusqu’à 30 minutes et 10 euros par jour, soit 10 heures et 200 euros par mois. Mieux, ces gains monétaires sont inférieurs aux coûts publics : le coût de la tonne de CO2 économisée est négatif. Personne ne fait mieux aujourd’hui en France. Le coût de la tonne de CO2 économisée par le rail est de l’ordre de 1000 €. Le rail est certes capacitaire mais long à déployer et très coûteux.
On le voit : décarboner les mobilités est possible. Au-delà de la seule question du carbone le sujet est triple : celui de l’efficacité (combien de personnes transportées, combien de tonnes de CO2 évitées ?), de l’équité (le service est-il accessible à tous ?) et enfin de l’efficience (à quel cout évite-t-on les émissions de CO2 ?).
Très concrètement répondre à cette triple exigence signifie pour Transdev déployer un service :

  1. Répondant au nombre de personnes à déplacer
  2. Rapidement
  3. Le moins coûteux en voyageur/km et en tonne de CO2 évitée

Les cars express que nous avons mis en œuvre cochent toutes les cases de cette équation entre la 2nde couronne et les gares RER et du GPE avec :

  • Des volumes de l’ordre du million de voyages annuels par ligne
  • Des délais de mises en œuvre bien inférieurs à ceux du système ferroviaire
  • Un coût par passager km de 13 cts, deux fois moins élevés que celui de la voiture et au niveau du Transilien (données ART)

Ceci conduit à des coûts de la tonne de CO2 évitée négatifs : les gains monétaires des ménages sont supérieurs aux couts publics du service.

Moins de CO2, plus de pouvoir d’achat : les cars express réconcilient Greta et les gilets jaunes !

 

2 https://www.francemobilites.fr/sites/frenchmobility/files/inline-files/France%20Mobilit%C3%A9s%20-%20Evaluation%20cars%20express%20-%20Version%20finale_4.pdf

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