Interview
Cohésion Sociale
Nous devons reconnaître la mobilité comme un droit fondamental.
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Nihan Akyelken
Professeur associé à l'université d'Oxford

Dans une interview accordée à The Mobility Times, Nihan Akyelken, chercheuse à Oxford, explique que la mobilité ne se résume pas à se déplacer.
Qu'est-ce qui rend la mobilité durable et accessible ?
Nous devons tout d'abord reconnaître la mobilité comme un droit fondamental, au même titre que l'accès à la nourriture ou au logement. Mais la mobilité est également différente, car elle dépend de la manière dont nous nous déplaçons (dans les villes, par exemple), de qui nous sommes, de ce que nous faisons et de nos relations les uns avec les autres. Ainsi, les facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques influencent tous la mobilité.
Rendre la mobilité durable ne consiste pas seulement à encourager la marche, le vélo ou les transports publics. Il s'agit de créer des systèmes qui fonctionnent pour tout le monde, qui sont inclusifs et qui répondent à des besoins divers.
Les villes doivent tenir compte des disparités entre les différents groupes sociaux et les différentes régions afin de garantir l'équité, car la durabilité est intrinsèquement liée à l'inégalité.
Si nous ne remédions pas d'abord à ces inégalités, nous ne pourrons pas vraiment garantir l'équité entre les différentes générations.
Lors de la conférence Mobility Sphere à Bruxelles, vous avez évoqué la nécessité de comprendre les capacités, les préférences et les processus décisionnels des personnes. Pouvez-vous développer ce point ?
Oui, j'ai parlé du concept de « capacités », qui comprend, par exemple, les capacités cognitives, les aspirations et les connaissances.
Par exemple, en 2010, j'ai discuté avec des femmes du sud-est de l'Anatolie des investissements dans les transports dans leur région. Elles appréciaient les infrastructures, mais ne les utilisaient pas car elles n'avaient pas accès à l'information, aux ressources ou à l'espace nécessaire pour prendre des décisions de manière indépendante.
Les connaissances, les aspirations et l'environnement décisionnel ont donc tous un impact sur la mobilité.
Cela soulève une question importante concernant l'acceptabilité des politiques. Comment celles-ci doivent-elles tenir compte de ces facteurs ?
Nous constatons que les décideurs politiques sont très préoccupés par l'acceptabilité sociale. Mais si une politique n'est pas acceptable, c'est peut-être qu'elle présente un problème, soit dans sa conception, soit dans sa communication.
Souvent, les politiques sont définies en considérant les questions sociales comme secondaires ou à régler ultérieurement, ce qui ne tient pas compte de la nature multiforme de la mobilité.
Nous devons vraiment prendre en compte l'ensemble de la population, et pas seulement les passagers, car la mobilité et les transports ont des externalités importantes.
Par exemple, une politique peut être ciblée de manière très précise, comme la subvention aux transports accordée par la municipalité métropolitaine d'Istanbul aux chômeurs inscrits dans les agences pour l'emploi. Elle profite à un groupe spécifique sans avoir d'impact négatif sur les autres, ce qui la rend plus acceptable.
Les autorités européennes, nationales ou locales réfléchissent-elles suffisamment à ces questions interdépendantes ?
Plus nous passons de temps à rendre les politiques plus acceptables, plus nous perdons de temps qui pourrait être consacré à comprendre les besoins réels de la société et à trouver de nouveaux moyens de participation et d'engagement du public, en particulier des populations les plus vulnérables.
Nous ne devons pas nous limiter aux chiffres, car les expériences vécues et les histoires individuelles peuvent être très transformatrices pour la société dans son ensemble.
Il y a souvent un débat entre « la fin du monde » et « la fin du mois », c'est-à-dire entre la question de savoir si nous pouvons nous permettre de donner la priorité à la durabilité plutôt qu'aux préoccupations économiques immédiates. Est-ce une formulation juste ?
Nous devons reconsidérer l'objectif de l'économie. S'il s'agit de gérer les ressources, nous ne pouvons pas ignorer l'importance de les préserver pour les générations futures.
Nous devons également nous rappeler que les trois piliers de la durabilité – économique, social et environnemental – ne sont pas seulement un simple cadre, mais une manière naturelle de gérer les ressources.
Par exemple, nous ne pouvons pas discuter de la construction d'une ville cyclable sans garantir l'existence de logements abordables dans les centres-villes, à proximité des lieux de travail.
Un véritable changement est-il difficile à mettre en œuvre parce que ceux qui bénéficient du système actuel pourraient s'opposer aux réformes ?
C'est une question légitime et réaliste. Mais lutter contre les inégalités n'est pas seulement un choix moral, c'est une nécessité pour le développement urbain durable. Nous devons rendre plus visibles les conséquences des mauvais choix passés.
Au Royaume-Uni, par exemple, les inégalités de revenus et la pauvreté infantile persistent, malgré l'excellence des réseaux de transport, comme à Londres. Qui profite de ces réseaux ? Tout le monde y a-t-il accès de manière égale ?
Il semble nécessaire de tout changer en même temps, mais cela représente un défi considérable, car tout est lié.
Tout est interconnecté, mais la solution n'a pas besoin d'être très complexe. Il suffit de regarder la réalité en face et de répondre aux besoins de la société.
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