Interview

Cohésion Sociale

La précarité en matière de transport : un enjeu social et territorial

20 Juin 2025

Comment percevez-vous la notion de "précarité en matière de transport" ? Est-ce une problématique récurrente parmi vos administrés ? Quelles solutions peuvent être mises en œuvre pour y remédier ? Quel rôle le transport public doit-il jouer ?

Élue dans un territoire organisé autour de l’activité économique, sociale et administrative d’une ville centre, je connais bien les enjeux de précarité en matière de transports, qui sont réels. De nombreux habitants de la périphérie dépendent en effet de leur voiture pour leurs déplacements, et nous savons que la part de cet usage dans leur budget croît depuis plusieurs années (achat du véhicule, entretien, carburant, assurance...). Ces difficultés interviennent de surcroît dans un contexte de transition énergétique des transports, dont on a vu avec le mouvement des gilets jaunes combien elle pouvait être diversement accueillie.


Élue de terrain, je suis convaincue que cette transition ne pourra pas devenir réalité si nous n’accompagnons pas les populations les plus précaires. La question des outils à mobiliser se pose donc pour les décideurs publics, qu’ils soient locaux, nationaux ou européens. Je pense que chaque échelon dispose d’outils pertinents. Dans ma région des Hauts-de-France, les jeunes sont par exemple accompagnés vers l’emploi avec une aide financière au permis de conduire. Au niveau européen, nos leviers d’actions sont réglementaires et financiers, où nous agissons effectivement pour le développement du transport public.


Des solutions doivent enfin être recherchées sur le plan de l’évolution des pratiques et des développements technologiques. De nouvelles options telles que les véhicules autonomes partagés ou les navettes autonomes seront par exemple disponibles dans quelques années, et offriront des solutions intéressantes dans le paysage des mobilités.

Considérez-vous que la précarité en matière de transport soit suffisamment prise en compte au sein des institutions européennes — à la Commission, au Conseil, au Parlement, et plus particulièrement au sein de la commission TRAN dont vous faites partie — dans le cadre du nouveau mandat, marqué par une redéfinition des priorités ? Quelle place les transports publics occupent-ils dans les travaux de votre commission ?

Avec la mise au premier plan de la transition écologique en général, et des mobilités en particulier, lors de la précédente mandature, le sujet a mécaniquement gagné en importance. Comme évoqué, tout l’enjeu est de ne pas laisser une partie de la population, périphérique ou modeste, sur le bord de la route. La notion de précarité en matière de transport est donc devenue un sujet récurrent, jusqu’à être inscrite parmi les priorités du réseau transeuropéen de transport, à l’initiative du Parlement européen. Alors que démarre le marathon budgétaire, il est clair qu’une partie de notre capacité d’action dépendra des arbitrages budgétaires, dans un contexte que nous savons contraint. Mais je perçois une réelle prise de conscience de l’importance du sujet dans toutes les institutions européennes : la publication d’une recommandation par la Commission européenne pour tendre vers une mobilité accessible, juste et abordable le 22 mai me semble d’ailleurs constituer un signal positif.

L’Union européenne a compris que le Green Deal ne pourra réussir que s’il est socialement acceptable et territorialement équilibré. La question n’est pas seulement technique, mais profondément politique. Dans le cadre du Fonds social pour le climat, mais également des négociations en cours sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP), pensez-vous que les ambitions européennes en matière de financement public dédié aux solutions de mobilité partagée et aux transports publics soient à la hauteur des enjeux ? Permettront-elles réellement d’offrir aux citoyens des alternatives crédibles à la voiture ?

Nous attendons bien sûr de voir comment le sujet sera traité dans la proposition budgétaire annoncée par la Commission européenne en juillet. Il est prévu que le Fonds Social pour le Climat mobilise 86,7 milliards d’euros entre 2026 et 2032, ce qui me paraît constituer un véritable levier d’action pour lutter contre la précarité en matière de transport. Il est à noter que ce fonds est abondé par l’ETS 2 et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : le montant prévu dépendra donc de la pleine mise en œuvre de ces dispositifs.


Il faut aussi mentionner le Mécanisme pour l’Interconnexion en Europe, qui est le pilier de l’action financière de l’Union en matière de transports depuis 2014 et doté de près de 26 milliards d’euros sur le précédent exercice budgétaire. Destiné principalement aux infrastructures, il est un élément essentiel de la mobilité en Europe puisqu’il permet d’intervenir là où les régions n’ont pas la capacité budgétaire suffisante pour boucler des plans de financement souvent à neuf chiffres. Toute la commission des transports et plus généralement, la communauté des professionnels des transports sont mobilisées pour défendre la survie de ce fonds et son ambition budgétaire, conditions sine qua non à la mobilité des Européens et à la compétitivité de notre économie. Les orientations de cet instrument devront également être définies et nous veillerons à ce qu’elles prennent en compte les impératifs d’une transition socialement acceptable.

La construction d’un marché européen de la mobilité repose sur des règles communes de concurrence, d’ouverture et d’accessibilité. Mais leur mise en œuvre reste inégale selon les pays et les segments de marché. Pensez-vous que le cadre législatif européen actuel permette de provoquer un choc d’offre afin d’inciter le citoyen à choisir une solution de mobilité alternative à la voiture individuelle ? Qu’attendez-vous de ce mandat pour favoriser l’émergence de nouvelles offres de mobilité collective ? Les États membres jouent-ils le jeu ?

Sur les enjeux d’ouverture et de concurrence, la politique européenne commence à porter ses fruits. Sans mentionner les sujets d’open access ferroviaire qui ne concernent pas vraiment la mobilité du quotidien, on peut noter que des contrats d’OSP commencent à être attribués dans le rail, et de manière croissante pour ce qui concerne les réseaux de bus. On passe donc de la théorie à la pratique, avec des nouveaux entrants qui ont enfin la possibilité de faire la démonstration de leur savoir-faire. Il reviendra aux passagers et aux collectivités de déterminer si ces nouveaux acteurs ont effectivement ouvert la voie à une diversification de l’offre, une montée en qualité et une baisse des prix. À ce titre, les années à venir permettront d’aller plus loin dans l’application du quatrième paquet ferroviaire, certains contrats régionaux ayant été attribués directement à l’opérateur historique par dérogation au principe d’attribution concurrentielle de services conventionnés.


De manière générale, je pense que nous avons du côté des États membres dépassé la phase de méfiance qui a pu être perçue lors de la négociation des grands textes portant les libéralisations sectorielles. Ils ont aujourd’hui intégré les opportunités que peut offrir l’ouverture à la concurrence, tant en interne pour la qualité du service, qu’à l’étranger via la conquête de nouveaux marchés.

Souhaitez-vous ajouter un point ou un message qui vous semble essentiel ?


On ne dira jamais assez combien la mobilité est corrélée pour nos concitoyens à la notion de liberté. Si la transition des transports est mal expliquée et mal appliquée, elle sera simplement perçue comme le produit d’urbains déconnectés des réalités du quotidien, et rejetée en bloc. Mon ADN politique m’interdit d’accepter cela : nous devons nous obliger à regarder ces questions sans dogmatisme, qu’il s’agisse de l’organisation de marché à privilégier, du soutien concret à accorder aux populations les plus précaires ou des énergies à privilégier dans le cadre de cette transition. Le Parlement européen est le bon endroit pour prendre part à ces arbitrages, et peser en faveur d’une mobilité accessible, abordable et soutenable.